Achille parmi les filles de Lycomède
Ce dessin flamand inédit illustre un passage
de la jeunesse d’Achille, raconté notamment
par Ovide dans les Métamorphoses (XIII, 161-
169) et dans un poème épique de Stace dédié
à Achille, publié en 1616 par le grand érudit
flamand Gevaerts et accompagné de commentaires
savants. La mère d’Achille, Thétis, cache
son fils sur l’île de Skyros parmi les filles du
roi Lycomède pour qu’il échappe à la guerre
de Troie. Ulysse et Diomède, sachant que la
ville de Troie ne peut pas être prise sans l’aide
d’Achille, partent à sa recherche. Pour reconnaître
Achille que sa mère a déguisé en fille,
Ulysse a comme toujours recours à la ruse : il
aborde Skyros grimé en marchand ambulant
et propose des colifichets aux jeunes filles. Au
milieu des bijoux qui attirent l’attention des
filles du roi, Ulysse dissimule une épée, sur
laquelle le jeune héros se précipite, dévoilant
ainsi son identité.
Dans cette feuille, trois arcs structurent la
composition, animée par les figures sveltes
et fragiles d’Achille et des jeunes filles du roi,
parmi lesquelles se trouve Deidamia, enceinte.
Celle-ci, ayant démasqué Achille, lui donnera
un fils, Neptomène. Ulysse et Diomède sont en
partie cachés derrière une colonne. L’élégante
silhouette du jeune Achille est bien visible au
centre du dessin. Le jeune héros brandit l’épée
du fourreau, montrant ainsi qu’il est prêt à
affronter son destin tragique.
Attribué à Diepenbeeck, ce dessin aquarellé
revient en fait à Jan van Boeckhorst. Né à
Münster en Westphalie, l’artiste se forme chez
Rubens à Anvers et devient l’un de ses collaborateurs
les plus proches. Il participe notamment
en 1635 au décor éphémère de l’Entrée
triomphale de l’archiduc Ferdinand[1], sous la
supervision de Rubens[2]. Il reste l’un des plus
importants peintres flamands du troisième
quart du XVIIe siècle et se distingue par ses peintures
religieuses et mythologiques. En 1649, il
attire l’attention de Michel le Blon, conseiller
artistique de Christine de Suède, qui l’appelle
« le plus rare peintre d’Anvers, tant pour les
portraits, histoire qu’inventions à l’antique »[3]. La feuille de Grenoble est proche du Christ
entouré de pécheurs repentis de Boeckhorst,
conservé au cabinet d’art graphique de la
National Gallery of Art de Washington[4]. Ce dernier dessin est préparatoire
à un tableau du même sujet, conservé dans une
collection particulière. Dans les deux oeuvres,
on trouve la même utilisation de la couleur
chatoyante et les mêmes contours curvilignes,
négligeant tous les détails. En même temps,
les éléments essentiels de la composition sont
clairement esquissés.
Boeckhorst se distingue par le grand nombre
de peintures consacrées à Achille parmi les filles
de Lycomède[5]. On peut en effet comparer l’esquisse
de Grenoble avec une de ces compositions,
conservée à l’Alte Pinakothek à Munich[6]
et entrée dans les collections bavaroises en 1696. L’idée de situer la scène dans une sorte
de loggia ouverte se retrouve dans les deux
oeuvres. Sur le même sujet, on trouve encore
un tableau à Varsovie[7] et un dessin, anciennement
dans la collection Benjamin Fillon à
Paris[8]. Ce dernier dessin est inspiré d’une composition
d’Antoon van Dyck, conservée dans
la collection Schönborn à Pommersfelden.
Une belle copie de ce tableau est actuellement
exposée à Neuburg sur le Danube, dépendance
des Bayerische Staatsgemäldesammlungen[9].
Parfois, le nom de Boeckhorst est prononcé
pour désigner l’artiste de cette copie mais les
indices demeurent trop fragiles pour le confirmer
avec certitude[10]. Notons qu’à Grenoble est
conservé un dessin anonyme mis au carreau
qui reprend exactement la composition du
tableau de Van Dyck[11].
[1] Pompus Introitus Ferdinandii.
[2] Le programme de cette entrée triomphale a été conçu par Gevaerts.
[3] Voir Lahrkamp, 1982, p. 9, note 39.
[4] National Gallery of Art, Inv. 1984.3.3 ; Galen, 2012, n° Z. 55.
[5] Beilmann, 1990, p. 133-139.
[6] Alte Pinakothek, Inv. n°136.
[7] Múzeum Narodowe, Inv. n°129966.
[8] Galen, 2012, n°Z 2, repr.
[9] Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Inv. n°1258.
[10] Galen, 2012, n°A 25.
[11] MG D 52.