Paysage - Vue prise à Saint-Egrève
Après une première participation au Salon
de Paris en 1839, Jean Achard attend quatre
ans avant de présenter un tableau et de s’installer
définitivement dans la capitale. Alors
qu’une première toile, exposée au Salon en
1843, passe inaperçue aux yeux des journalistes,
la suivante, Vue de la vallée de l’Isère
prise à Saint-Égrève, est remarquée par
Joseph-Augustin Du Pays, célèbre critique
parisien, qui note dans son article sur le Salon
de 1844 : « Il serait difficile de surpasser
M. Achard pour ce qui concerne les terrains
et les collines rocailleuses qu’il peint avec une
étonnante vérité[1]. » Bientôt, une lettre du
baron de Chabran La Tour (député du Gard)
sollicite le 29 avril 1844 auprès du ministre
de l’Intérieur l’achat du tableau[2]. Celui-ci, qui
a reçu une médaille de troisième classe, est
acheté 2 000 francs par l’État pour le musée
de Grenoble. L’Isérois tient enfin la reconnaissance
officielle qu’il espérait pour lancer
sa carrière.
Depuis son retour d’Égypte, Achard a beaucoup
travaillé, se consacrant à de nombreuses études
sur nature dans les environs de Grenoble. Il lui
faut à la fois trouver son propre langage et se
conformer au registre déterminé par le jury des
Salons, qui ne peut être que celui de la tradition.
Il s’appuie sur les principes du Lorrain
ou de Poussin, sur les recommandations du
peintre Valenciennes. Il reprend l’habituelle
mise en scène des paysages classiques :
un côté, le droit, bouché par les rochers et
l’étendue d’arbres pommelés ; un autre, le
gauche, largement ouvert sur les lointains. Au
fond, le massif du Moucherotte et la grande
voûte du célèbre pli de Sassenage sont extrêmement
réalistes, tandis que le premier plan
est fantaisiste : il s’inspire sans doute des
carrières de pierre du Fontanil, alors en pleine
activité, car la couleur et la forme des bancs
sont bien observées, mais elles se situent à
plus de trois kilomètres au nord-ouest de la
vallée. Un tableau de son élève Charles Bertier
(1890) a été réalisé au même endroit, la prairie
de la Rigaudière à Proveysieux, ce qui nous
permet de constater la différence.
En s’aidant de plusieurs études sur le motif,
Achard crée un paysage composite, arrangeant
en atelier certaines parties pour les
plier à la nécessité d’une composition bien
équilibrée et plus classique qu’il éclaire à la
manière du Lorrain. Appréciant particulièrement
les arbres et les rochers, il aime restituer
la matérialité de ces éléments. Mais le
tableau révèle une maîtrise nouvelle. L’artiste
excelle à creuser l’espace dans la lumière et à baigner les montagnes dans une fluidité
et une transparence qu’on ne trouve que
chez lui. En quittant son territoire natal pour
s’installer à Paris, Jean Achard, libéré des
principes néoclassiques, va peu à peu évoluer
vers un art tout en symbiose avec la nature
et s’intégrer dans le mouvement national du
paysage réaliste.
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