Fracassée

Lorsque Bernard Frize réalise ses premiers
travaux marquants, en 1976, ceux-ci s’inscrivent
dans un contexte artistique où le minimalisme
et l’art conceptuel occupent une place
prépondérante, et où l’un des leitmotive de la
critique réside dans la proclamation définitive de
« la mort de l’art ». Peindre alors, pour un jeune
artiste, c’est affirmer d’une part – à l’encontre
de la pensée du temps – qu’il reste encore des
territoires vierges à explorer et, d’autre part,
que l’art, loin d’être moribond, offre toujours
la possibilité d’un renouvellement de notre
appréhension du monde visible. Prenant appui
sur ce double postulat et adoptant parallèlement
une attitude de retrait vis-à-vis de l’acte
– traditionnel – de peindre, Frize s’attache alors
à une analyse approfondie des ressorts de la
peinture. Cherchant à mettre en évidence les
relations « de cause à effet » qu’entretient le
tableau avec ses différents modes de réalisation,
il procède à une réduction élémentaire du
travail pictural. Le tableau se donne donc, avant
même d’être un objet esthétique autonome,
comme l’affirmation matérielle de son processus
d’élaboration. Cette problématique, l’artiste l’a
développée et enrichie depuis. Multipliant les
angles d’approche, remettant en question, à
l’instar de Picabia, la notion de style, il réalise, au
fil des décennies, un ensemble hétérogène dont
le survol global laisse apparaître toutefois une
profonde unité.
Fracassée fait partie d’une série d’œuvres réalisée
en 2001 sur le principe du fractionnement ou de
l’éclatement du champ pictural. L’artiste reprend
le principe de la trace de brosse multicolore mais
plutôt que de la conduire de manière linéaire,
sur toute la surface de la toile, il la sectionne
en autant de figures géométriques emboîtées.
Le résultat est vertigineux. De fait, la trace, qui
conserve à chaque fois les mêmes couleurs dans
le même ordre de succession, devient un véritable
motif décoratif. Le peintre l’utilise comme un
patchwork, accolant à chaque segment un
autre, quels que soient sa forme et son format.
L’ensemble crée un effet de miroir brisé, générant
par-là toutes sortes d’effets de perspective.
Sensation de mouvement incessant, d’espace qui
se creuse ou qui avance, la peinture est ici moins
un trompe-l'œil qu’un trompe l’esprit, laissant le
spectateur fasciné autant que démuni.
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