La Fille de Jephté

L’étude complète du fonds français de Grenoble a fait émerger un ensemble méconnu de dessins de compositions néoclassiques dont l’étude complète reste à faire. Une grande partie de ces feuilles se trouvait dans les boîtes « VRAC » et portait très rarement une attribution. Au sein de cet ensemble, nous avons constitué, autour de la Fille de Jephté, présentée ici, un groupe qui nous semble cohérent par le style et qui parait être d’un même artiste (MG 2011-0-101 et 103).
Entré avec la collection Mesnard, le présent dessin a conservé une partie de son ancien montage qui nous renseigne en détail sur le sujet représenté et le nom de l’inventeur de la composition : Elie-Honoré Montagny. Le Dictionnaire des artistes de l’école française de Charles Gabet (1831) nous le décrit comme un peintre d’histoire né à Paris, formé par David et travaillant pour la reine de Naples, Caroline Murat. « Plusieurs de ses tableaux sont restés dans le palais du roi de Naples, entre autre : Philémon et Beaucis, une Galathée, Le Tasse ; ces deux derniers sont de petites dimensions. Etant à Rome, lorsque M. Suvée y était directeur de l’Académie[1] , il fut envoyé à Naples pour faire des dessins pour l’Iconographie ancienne ; plus tard, en 1805, il alla en Sicile dans le même but, d’après les désirs de l’ambassadeur de France à Naples. Des ouvrages de cet artiste ont été exposés, dans le temps à Rome, au Capitole. Il a aussi exposé au Musée Royal en 1819, Cupidon combattant avec Antéros pour lui ravir une palme. M. Montagny tient un atelier d’élèves ; il enseigne aussi la perspective, apprend à modeler en terre et en cire, et donne des leçons particulières »[2] . A ces quelques lignes nous pouvons ajouter, grâce aux découvertes récentes de Jacques Beauffet[3] , que Montagny est issue d’une dynastie d’artistes originaire de Saint-Etienne où son père Fleury Montagny exerçait le métier de graveur sur médaille. Il participe en 1802-1803 à l’illustration de la Galerie du Musée Napoléon en fournissant des dessins d’après les antiques saisies au Vatican[4] . En 1804, ses talents de dessinateur le conduisent à Rome où le directeur de l’Académie, Suvée l’introduit dans l’équipe des illustrateurs de l’Iconographie ancienne commandée par Napoléon à Ennio Quirinio Visconti[5] . Vers 1805, il se trouve à Naples où il réalise des relevés de Pompeï. Durant ces années italiennes, gravitant dans l’entourage de Suvée et de son successeur Pierre-Adrien Paris, Montagny réalise des séries de grands dessins d’histoire et travaille ponctuellement pour la reine de Naples, Caroline Murat[6] .
Connu par quelques rares dessins conservés dans les collections publiques en France[7], l’œuvre graphique de Montagny s’est étoffé ces dernières années par l’apparition de nouvelles feuilles en général signées, datées aux alentours de 1805-1808 et localisées à Rome[8]. Parmi ces dernières, signalons en particulier un important recueil d’antiquités, dessinées en 1804-1805 d’après des peintures, sculptures et objets divers trouvés à Pompéi, acquis en 2004 par le Getty[9] . A travers ce corpus graphique, Montagny apparaît comme un néoclassique, proche dans ses aspirations d’artistes tels que Hennequin. Ce dernier possède toutefois une capacité d’invention plus importante et une plus grande maîtrise du dessin. L’apparition en vente d’un dessin illustrant Hercule combattant contre le roi des eaux Achéloüs devant Déjanire a permis à Mehdi Korchane d’identifier récemment le tableau correspondant[10]. Cette œuvre de petite dimension (un modello ?) vient enrichir le maigre corpus des peintures connues de Montagny.
L’ensemble des œuvres précitées nous offre une vision cohérente du style de Montagny dont l’art reflète parfaitement l’évolution du courant néoclassique autour de 1800. Les compositions denses et linéaires, les sujets d’inspiration antique ou littéraires, les formes stylisées sont des éléments récurrents de ses dessins. Comme l’a souligné Mehdi Korchane[11], la technique vigoureuse de l’artiste ainsi que les références aux maîtres du XVIe siècles tels que Michel-Ange et Raphaël, confèrent un caractère romain à ses œuvres qui le rapproche bien plus d’artistes comme Cades, Giani ou Sbatelli que de ses compatriotes.
La Fille de Jephté de Grenoble se démarque des dessins connus jusqu’ici de Montagny. Signée et datée de 1807, localisée à Rome, l’œuvre offre une autre facette du dessinateur avec un tracé plus léger et moins fini. Certains tics graphiques, comme les sourcils tracés d’un seul trait, les yeux qui parfois louchent un peu chez certains personnages, l’aspect schématique des têtes nous ont servi de base de comparaison avec un ensemble de dessins de plus grandes dimensions que nous présentons dans les notices des MG 2011-0-101 et 103 avec une attribution à Montagny.
[1] Suvée est nommé directeur de l’Académie de France à Rome en 1792 mais ne peut, en raison des troubles révolutionnaires, prendre son poste de 1801 à sa mort en 1807.
[2] Gabet, 1831, p. 499-500.
[3] Communication écrite de Jacques Beauffet à Mehdi Korchane en février 2011. Nous remercions ce dernier de son aide lors de la rédaction de cette notice.
[4] Cours historique et élémentaire de peinture ou Galerie complète du Muséum central de France, puis Galerie du Musée Napoléon à partir du t. V, Paris, 1802-1815, 10 volumes.
[5] Iconographie ancienne ou recueil des portraits authentiques des empereurs, rois et hommes illustres de l’Antiquité, I. Iconographie grecque, Paris, 1808, 2 volumes et 1 volume d’Atlas publié en 1811.
[6] Sur Montagny, voir en dernier lieu Scognamiglio, 2008, p. 146-162.
[7] Citons au musée des beaux-arts de Rennes,* Caron frappant de sa rame les âmes qui n’entrent pas assez promptement dans sa barque*, 1808, H. 40,6 ; L. 50,4, Inv. 1975.2.1 ; et au musée des beaux-arts de Besançon, Apollon et Phaéton, 1809, plume, encre brune et lavis brun, H. 36 ; L. 65, Inv. D. 2894.
[8] Hercule sur le bûcher, plume, ancre brune et lavis, H. 36,8 ; L. 52,1 (Sotheby’s New York, 26 octobre 1990, n° 69) ; Le Triomphe de César, 1807, 22 mars 2007, n° 97 ; Hercule combattant Achéloüs devant Déjanire, plume et encre brune, H. 30,9 ; L. 48,5, Christie’s Paris, 10 avril 2008, n° 135 ; L’Education d’Achille (d’après une peinture de Pompéi), H. 32,5 ; L. 31,5, Paris, espace Tajan, 19 mai 2009, n° 163.
[9] Album de 89 feuillets passé en vente à Paris, hôtel Drouot, étude Piasa, 19 mars 2004, n° 150 et acquis par le Getty Research Institute, Inv. 2004.M.12. Deux autres albums, contenant l’un 89 feuillets et l’autre 107, sont également passés en vente à Drouot, étude Piasa, le 10 décembre 2003 (lots 79 et 81).
[10] H/T, H. 35 ; L. 47, voir Korchane dans Lyon, 2010, n° 10.
[11] Korchane dans Lyon, 2010, n° 10.
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