Etude pour la coupole des Invalides

Malgré les dommages subis, ce dessin inédit, qui se trouvait dans les boîtes « vrac », peut facilement être rendu à Charles de La Fosse dont la technique aux trois crayons et le style lyrique et pictural sont ici facilement reconnaissables[1] . L’œuvre est préparatoire à l’une des commandes les plus prestigieuses obtenue par le peintre à la fin de sa vie, le décor de la coupole supérieure du dôme des Invalides[2] .
Pendant parisien du chantier décoratif de la chapelle royale de Versailles, l’église du dôme des Invalides est la réalisation religieuse la plus ambitieuse entreprise dans la capitale sous le règne de Louis XIV. Contrairement à la chapelle attenante des Soldats, achevée en 1679, et dont le seul ornement peint semble avoir été le retable de Louis Licherie, Saint Louis soignant les malades de la Peste[3] , l’église du dôme fait l’objet d’un vaste programme décoratif sculpté et peint. L’histoire complexe de cet ensemble, dont la réalisation s’échelonne sur plus de trente ans, a été retracée par Antoine Schnapper[4] .
Alors que la construction de l’édifice de Jules-Hardouin Mansart commence à peine, Charles de La Fosse, qui venait d’achever le décor de la coupole de l’église de l’Assomption, présente, dés février 1677, une maquette au roi. C’est une monarchie victorieuse qui s’illustrait dans ce projet. Quatre anges offraient les armes royales à la sainte Trinité tandis qu’apparaissaient sur des nuages saint Louis, saint Charlemagne et saint Michel écrasant la Hollande que Louis XIV venait de vaincre. Les conquêtes de la Flandre et de la Franche-Comté étaient également évoquées sous des formes allégoriques. Des apôtres, des saints guerriers et des femmes fortes soulignaient encore l’esprit militaire du décor. La construction de l’édifice prenant de plus en plus de retard, la question du décor ne se pose finalement qu’en 1690. A cette date, Colbert vient de mourir et la commande échappe à La Fosse qui est écarté par Louvois au profit de Pierre Mignard. Ce dernier remplace aussi dans ses fonctions Charles Le Brun, qui meurt en 1691. Mignard présente à son tour de nouveaux projets pour la coupole et ses pendentifs. Ces derniers se différenciaient dans le détail de la maquette de La Fosse mais l’iconographie militaire y dominait toujours. La différence la plus notable dans ce projet était le choix de reliefs sculptés pour les pendentifs et la calotte inférieure. La lenteur des travaux a eu également raison des espoirs de Mignard qui s’éteint en 1695. De retour d’un séjour en Angleterre en 1692, soutenu par Hardouin-Mansart, La Fosse tente de nouveau d’obtenir la commande des Invalides qui comprenait désormais non seulement la peinture de la coupole mais également celle des quatre chapelles latérales dédiées aux pères de l’église. De nouveaux projets sont préparés. Les difficultés que connaît alors la couronne et les défaites de Louis XIV provoquent également une modification des sujets dont l’aspect triomphal et militaire est gommé. La coupole sera finalement ornée d’un Saint Louis déposant son épée au pied du Christ, la calotte de douze peintures montrant l’apothéose des Apôtres et les pendentifs des traditionnels évangélistes.
Après bien des querelles, et grâce au soutient indéfectible de l’architecte des lieux, La Fosse obtient la part la plus prestigieuse de la commande : la calotte supérieure de la coupole et les quatre pendentifs. Le roi impose Jean Jouvenet pour la calotte inférieure et le reste est distribué entre Louis de Boulogne, Michel II Corneille et le vieux Noël Coypel.
Le dessin du musée de Grenoble est en rapport avec le projet définitif présenté par La Fosse. Le peintre a certainement préparé avec le plus grand soin sa grande composition dont nous connaissons aujourd’hui deux esquisses peintes, conservées au musée de l’Armée et au musée des Arts Décoratifs. Contrairement aux esquisses peintes, les dessins demeurent encore très rares pour cet ensemble. Clémentine Gustin-Gomez, dans la récente monographie qu’elle consacre à l’artiste, n’en recense qu’un seul en rapport avec la coupole. Notre dessin prépare la scène principale et s’accorde dans sa technique parfaitement avec les dessins de maturité de La Fosse à la fin des années 1690. Le trait y est rapide et synthétique jusqu’à en paraître maladroit dans certaines figures.
Le prestigieux décor, fort admiré par le roi, fait l’objet en 1736 d’un luxueux recueil illustré d’une centaines de gravures de Nicolas Cochin. Nous avons retrouvé parmi les dessins anonymes du musée une quarantaine de contre-épreuves de sanguine et de pierre noire, réalisées par Cochin d’après ses propres dessins pour que les compositions qu’il reproduisaient soient dans le bon sens. Ces feuilles, rares car peu souvent conservées en aussi grand nombre, sont d’un grand intérêt afin de comprendre la méthode utilisée pour l’estampe de reproduction[5].
[1] Le musée de Grenoble possède deux autres dessins de La Fosse. Le premier, une Étude de chérubin tenant des clés, MG D 2062, semble avoir été retravaillé au XVIIIe siècle (voir Gustin-Gomez, 2006, n° D 267, p. 295). Le second est une étude inédite montrant deux angelots : MG D 2586. Uniquement dessiné à la sanguine, l’œuvre prépare une Assomption de la Vierge, connue par une esquisse peinte conservé au musée de Caen (Inv. 64.4). Ainsi, le fond grenoblois peut désormais illustrer deux facettes de La Fosse dessinateur.
[2] Charles de La Fosse, Saint-Louis déposant son épée aux pieds du Christ, Paris, musée de l'Armée, Inv. 2 ; Ea 0014.
[3] Tableau perdu. Modello au musée des beaux-arts de Rouen, Inv. 966 3.
[4] Schnapper, 1974.
[5] L’ouvrage de Cochin comprend 120 gravures. Le musée de l’Armée a acquis il y a quelques années un carnet comprenant une partie des dessins originaux de Cochin à la sanguine et à la pierre noire. Les contre-épreuves de Grenoble sont, pour certaines, tirées des dessins du musée de l’Armée et pour d’autres, conservent le souvenir de dessins non encore retrouvés.