Bouddha émacié, Tuyêt Son

Bois peint, laqué et doré
68,5 × 53 × 45 cm
Don de Léon de Beylié en 1909
MG 2010-0-13
La statue du Bouddha émacié conservée au musée de
Grenoble est tout à fait exceptionnelle, car rare dans les
collections européennes mais aussi dans les temples
vietnamiens. Cette représentation illustre un épisode
particulier de la vie du prince Siddhartha, futur Bouddha
Sakyamuni. Après avoir quitté le palais de son père en
quête d’une solution à la souffrance et ainsi aider tous les
êtres, il décida d’étudier auprès de plusieurs maîtres diverses
techniques de méditation qu’il maîtrisa rapidement. En
compagnie de cinq autres ascètes, sur les rives de la rivière
Nairañjana, le prince-bodhisattva s’adonna à la pratique
des austérités tout en restreignant sa nourriture à un grain
de riz par jour. Jour après jour, son corps s’affaiblit tandis
que les trente-deux marques majeures du corps d’un
Bouddha disparaissaient une à une. Comprenant qu’il ne
trouverait pas la solution à la cessation de la souffrance de
cette manière, il abandonna ces mortifications. À la suite
de cet épisode, il partit méditer sous l’arbre de la Bodhi, le
ficus religiosa, où il atteint l’Éveil.
Les sculpteurs n’hésiteront pas à montrer un être
décharné pour illustrer ce moment de la vie du Bouddha,
faisant de la représentation du Bouddha émacié l’une
des plus marquantes de la statuaire bouddhique. Cette
œuvre n’échappe pas à la règle. Elle nous donne à voir un
être squelettique assis, la jambe droite en tailleur tandis
que l’autre, repliée, sert de point d’appui pour les mains et
le menton. La maigreur est telle que nous voyons les
veines du corps. Un pantalon devenu trop ample suite aux
ascèses ceint le Bouddha. Le personnage repose sur une
base accidentée rappelant un pic montagneux. Ce sommet
est une référence directe au nom de la statue, tuyêt signifiant
neige et _
_, montagne; les monts enneigés, c’est-à-dire
l’Himalaya, sont identifiés comme le lieu où l’action se
serait déroulée. Contrastant avec la gravité du sujet, un
sourire bienveillant illumine le visage de l’ascète.
L’absence de solennité tient probablement au fait que le
modèle dût être une personne vue par le sculpteur.
À partir des XVIIe et XVIIIe siècles, une volonté de rendre les
divinités plus proches des fidèles par un aspect accueillant
parcourt la statuaire bouddhique vietnamienne.
L’arrière de la statue présente une, voire plusieurs parties
manquantes. Cette absence laisse entrevoir filtrer la
technique employée pour la réalisation de cette pièce en
particulier, mais plus généralement pour la statuaire bouddhique
en bois au Vietnam. Elle consiste en un assemblage
à tenons et mortaises de plusieurs pièces en bois. Les morceaux
ne semblent pas évidés comme cela se fait au Japon
dans la technique du yozegi zukuri. À l’image d’autres
statues, celle du musée de Grenoble fut recouverte d’un
revêtement dissimulant l’assemblage avant la pose de la
peinture et du laque. En général, cette couche intermédiaire
se compose de chaux à laquelle se mêlent du sable et du
papier. Le bois employé ici n’est pas connu, toutefois nous
pouvons penser à du bois de jacquier, gô mit, bois le plus
fréquemment utilisé dans la statuaire vietnamienne.
Il semble que la forme du Bouddha émacié ne soit pas
apparue au Vietnam avant le XVIIe siècle. La reconstruction et
l’agrandissement des temples à cette période, d’une part, et
le renouveau du bouddhisme thiên [1], d’autre part, entraînèrent
la multiplication et l’apparition de nouveaux types
iconographiques. Le temple But Thap dans la province de
Bac Ninh possède aujourd’hui la statue la plus ancienne
représentant ce sujet. L’aspect cependant diffère, le futur
Bouddha étant figuré en méditation. Il existe différentes
traditions de représentations du Bouddha émacié au
Vietnam. Par sa posture, la pièce de la collection Beylié
appartient à celle relevant du temple Keo, situé dans la
province de Thai Binh.
Les seuls renseignements dont nous disposons à son
sujet sont donnés par le collectionneur dans une lettre adressée depuis Saigon, le 31 juillet 1909, au conservateur
de la bibliothèque E. Maignien et dans laquelle il prévient
de son envoi d’« un bouddha en bois doré et laqué,
accroupi, très maigre, de grandeur presque nature, représentant
Bouddha ascète. Il est d’une maigreur excessive. Je
l’ai fait faire à Hanoi. » Il ne dit rien de l’original qui a pu
servir de modèle, mais la rareté des représentations du
Bouddha émacié rend cette pièce unique.
[1] Il s'agit du bouddhisme chan.
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