Têtes de guerriers et d'un cheval

Cette vibrante étude de têtes de guerriers et
d’une encolure de cheval tracées à la plume et
encre noire et à la gouache blanche (pour une
tête et un torse – notons que ce médium est
rarement utilisé pour délinéer une figure)
restent malheureusement une énigme. Son
extraction quasi minière d’un vrac de dessins
sans numéros d’inventaire et son exposition
dans les salles du musée permettront peut-être
de la résoudre. Face à ce constat désolant, nous
sommes contraints de poser des questions, elles
resteront sans réponse: italien? romain, napolitain,
milanais ? ou a contrario allemand, danois,
suisse, anglais ?
Le nom du peintre romain Giuseppe Cades
(1750-1799) a été avancé, mais réfuté par la
spécialiste de l’artiste. Elle a eu tendance à
orienter les recherches autour d’artistes
romains ou d’origines diverses établis à Rome à
la toute fin du XVIIIe siècle. On sait qu’à cette
époque, plus peut-être qu’à Paris, Rome est une
« ville-atelier » où tous les artistes européens de
renom et de moindre renommée ou qui veulent
se faire un nom se retrouvent (David, Füssli,
Sergel, Abilgaard, James Barry, Angelica Kauffmann,
les pensionnaires de l’Académie de
France, etc.). L’effervescence intellectuelle,
esthétique et artistique qui y règne trouve son terreau dans l’antique, fer de lance de toutes les
communautés d’artistes, un antique toutefois
éthique. On représente des sujets tirés de l’histoire
grecque ou romaine ; on les dépeint à la
manière grecque ou romaine. On les choisit
surtout en fonction de leur portée morale : ils
doivent édifier. Les têtes dessinées sur cette
feuille rentrent parfaitement dans ce courant :
ce sont des guerriers casqués à la grecque,
étudiés très certainement pour être intégrés
dans une peinture d’histoire, le genre le plus
noble, celui dans lequel les artistes qui veulent
se faire un nom épuisent leur talent pour satisfaire
un horizon d’attente friand de tels sujets
porteurs d’exempla virtutis. C’est peut-être
autour de Cades qu’il faut chercher le nom du
dessinateur potentiel de cette feuille. Celui de
Vincenzo Camuccini (1771-1844) a ainsi été
avancé. Comme Cades, il est passé dans l’atelier
de Domenico Corvi. Mais ses dessins sont
assez bien connus grâce à la survivance de son
fonds d’atelier : ils présentent un faire sensiblement
différent. Il fréquenta un lieu de sociabilité
et d’émulation artistique, l’Accademia
de’Pensieri fondée par le peintre Felice Giani,
où se retrouvaient entre 1790 et 1796 des
peintres tels que Pietro Benvenuti, Giuseppe
Bossi, Fabre, Wicar, Luigi Sabatelli, et dont le
but était de faire en sorte que ses participants
apprennent « l’arte di ben comporre » (« l’art
de bien composer »). C’est peut-être dans ce
milieu que ce nom pourrait être trouvé. Celui
de Sabatelli (1772-1850) – passé également
dans l’atelier de Corvi – est d’ailleurs le plus
séduisant. Et certains de ses dessins montrent
une manière assez proche.
Mais Rome n’est pas la seule ville candidate. On
dessine de la même façon à Milan et à Naples.
Les barrières stylistiques régionales à la fin du
XVIIIe siècle ne sont plus aussi étanches. Un
artiste comme le Napolitain Giuseppe Cammarano
(1766-1850) pourrait tout autant être
convoqué sur le devant de la scène attributive.
Deux de ses dessins – certes ce ne sont pas des
feuilles d’études – exposés récemment à Naples
montrent des têtes de guerriers comparables[1].
Cette mise en parallèle n’est à cette heure
qu’une piste de travail. Il se pourrait même que
le dessin soit l’œuvre d’un dessinateur français
proche de François André Vincent (1746-1816),
voire Vincent lui-même, même si la technique
utilisée est inhabituelle dans l’œuvre graphique
de cet artiste.
[1] Le premier dessin représente la Mort de Virginie (Naples, coll. part.) ; le second, L’Effroi de Gaius Fabritius Luscinus dans le campement de Pirrhus (coll. part.).
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