Paysanne italienne

Charles Bellay, né à Paris[1], est le fils du peintre et graveur lyonnais François Bellay qui lui prodigue ses premiers enseignements. S’il poursuit son étude de la peinture dans l’atelier d’Édouard Picot, il s’initie à la délicate technique de la gravure en taille-douce auprès de Louis Pierre Henriquel-Dupont, grand rénovateur de la gravure française au XIXe siècle. « Ordinairement, il faut environ quatre ou cinq ans de pratique du burin et de la pointe » nous informe Édouard Charton dans l’article qu’il consacre au métier de graveur dans son Dictionnaire des professions, paru en 1842[2]. C’est d’ailleurs dans cette spécialité que Bellay remporte le Prix de Rome en 1852 et intègre la Villa Médicis pour cinq années, de 1853 à 1857. Durant son séjour, il se lie d’amitié avec Paul Baudry et Jules-Elie Delaunay. Il fera d’ailleurs le portrait gravé de ce dernier, aujourd’hui conservé au musée Gustave Moreau à Paris[3]. La gravure au burin est un métier difficile et le lauréat du Prix de Rome arrive dans la ville éternelle avec une solide connaissance de son art auquel le séjour romain ajoute simplement la confrontation avec les chefs-d’œuvre de la Renaissance qu’il s’agit de copier et de traduire par un enchevêtrement complexe de tailles, contretailles, hachures en treillis, sur une plaque de cuivre. Car le graveur pensionnaire à Rome est avant tout un graveur de reproduction, appelé à prendre sa place à son retour dans la chaîne de production des ouvrages d’art et recueils gravés à l’usage des amateurs. Charles Bellay ne déroge pas à la tradition, mais s’il présente régulièrement au Salon des pièces gravées comme le Portrait de M. Schnetz, directeur de l’École de Rome [4], il envoie aussi régulièrement des aquarelles d’après les chefs-d’œuvre de Raphaël, dans la section « Dessins »[5] et quelques peintures. Cette très belle gouache de Paysanne italienne, réalisée à Rome, est probablement la « gouache vernie » que Bellay présente au Salon de 1861 dans la section « Peinture » sous le titre Paysanne des environs de Rome. Car si l’artiste quitte la Villa Médicis en 1857, il semble avoir prolongé son séjour dans la Ville éternelle car le catalogue du Salon de cette année-là nous informe qu’il réside à Rome et à Paris. Dans cette étude de femme de grand format, l’artiste met l’accent sur le visage austère de la femme, avec ses traits pleins de caractère et son expression un peu maussade. Bellay apporte ici un soin particulier à la description du costume et des parures de son modèle, originaire de Sonnino, une bourgade du Latium. La femme porte le panno rouge traditionnel, la pièce de tissu brodée et garnie d’une espèce de planchette dans la partie qui couvre la tête, et une épingle à chapeau en argent, avec une tête ornée d’un poing serré. Son corsage cintré, dont les minces bretelles retombent sur les épaules, laisse voir l’ample chemise blanche à manches bouffantes qui apporte une plage claire dans cette composition dominée par le rouge. Enfin, un collier de deux rangs de corail, très prisé en Italie centrale, et deux boucles d’oreilles en or, complètent la parure. Cette peinture prépare une gravure intitulée Louisa qui paraîtra en 1869 dans un recueil édité par la Maison Goupil et intitulé Types italiens[6]. Du portrait individuel, Bellay gomme ici les aspérités trop caractéristiques du modèle pour parvenir à l’archétype de la femme italienne et gomme au passage le collier de corail. Cette grande gouache que le conservateur Jules Bernard qualifiera d’ « œuvre d’art, remarquable par la correction du dessin et la recherche du modelé »[7], a été léguée par Charles Bellay au musée de Grenoble en 1900[8]. Cette libéralité, de la part d’un artiste sans lien aucun avec la ville dauphinoise, ne s’explique que par ses liens avec Ernest Hébert, son ami de toujours avec qui il échange une correspondance suivie. Tous deux se retrouvent à Rome lors du premier directorat d’Hébert à la Villa Médicis, entre 1867 et 1873.
[1] Son acte de naissance le désigne sous le nom de Paul Alphonse mais les catalogues de Salon usent indifféremment des prénoms Charles, Alphonse, Charles-Alphonse ou Paul-Alphonse.
[2] Cit. dans Anne-Marie Garcia, « De l’art de graver, Prix de Rome et envois de gravure », in L’Éducation artistique en France, (sous la direction de Dominique Poulot, Jean-Michel Pier et Alain Bonnet), rennes, PUR, 2010, p.47.
[3] Charles-Alphonse Bellay, Portrait de Jules Elie Delaunay, gravure, Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 11912-13.
[4] Salon de 1867, section « gravure », n°3088.
[5] Salon de 1866, n°2046, L’École d’Athènes, d’après la fresque de Raphaël, aquarelle et n°2047, La dispute du Saint-Sacrement, d’après la fresque de Raphaël, aquarelle.
[6] Le recueil in-4 des Types italiens, édité par Goupil en 1869, comprend dix figures de femmes : Menicuccia, Laura, Louisa, Nunziatina, Stella, Antonia, Pascuccia, Nonna, Vittoria et Rubinella. Quatre têtes (Types des habitants de la campagne de Rome) figurent au même Salon de 1861 dans la section « gravure », amorce du recueil de dix planches, publié quelques années plus tard.
[7] Lettre de Jules Bernard au maire de Grenoble le 15 octobre 1900, Archives municipales, 2 R 338.
[8] L’artiste donne la même année au musée une peinture intitulée Mendiant à la porte d’une église à Rome (probablement le Mendiant italien à la porte d’une église ; gouache vernie qui figure au Salon de 1861 sous le n°198).
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