Sassenage et le Furon
Accoté au massif du Vercors, à quelques kilomètres de Grenoble, le village de Sassenage jouit au XIXe siècle d’une certaine renommée en raison de ses cascades, de ses « cuves[1] », de ses vestiges archéologiques et de ses ruelles pittoresques. Henri Blanc-Fontaine, familier de cette localité qui le fascinait par ses paysages authentiques, s’y installe définitivement à la fin de sa vie. Dans Sassenage et le Furon, daté de 1889, l’artiste reprend dans une palette automnale les aspects les plus séduisants de ce petit bourg aux allures champêtres. Dès le premier plan, il invite le spectateur à suivre les méandres de la rivière qui sillonne la commune : le Furon. Puis, le regard s’étend pour observer d’une berge à l’autre les badauds qui s’y promènent et traversent le pont. À droite, des arbres monumentaux se dressent derrière un long mur de pierre. Le traitement des feuilles par petites touches, vibrant au gré des variations lumineuses, n’est pas sans rappeler la production des peintres de Barbizon et leurs études sur le motif. La présence de ces arbres signale l’orée du parc du château de Sassenage, édifice emblématique de la ville datant du XVIIe siècle. L’église Saint-Pierre, dont on aperçoit le clocher au milieu des habitations, participe également de l’histoire du bourg en abritant depuis 1822 le tombeau du duc de Lesdiguières et de sa famille. Enfin, la première bâtisse située dans la partie gauche du tableau, qui pourrait sembler insignifiante aux yeux du spectateur, revêt toutefois une importance particulière pour l’artiste qui y résidait et y travaillait régulièrement[2]. Au fond, les imposantes falaises rocheuses du Vercors se fondent dans le ciel pour se mêler à la courbe évanescente de quelques nuages. Lorsqu’il peint Sassenage et le Furon, Blanc-Fontaine immortalise un paysage qu’il affectionne. Qui plus est, il s’inscrit dans la lignée de paysagistes de renom qui, eux aussi, avaient succombé aux attraits singuliers de ce petit bourg. Parmi ces visiteurs se distinguent notamment Jules Coignet (1798-1860), Louis-Auguste Lapito (1803-174), Michel Grobon (1770-1853) et Charles-François Daubigny (1817-1878). Le Marseillais Isidore Dagnan, installé à Grenoble entre 1824 et 1831, livre plusieurs vues de Sassenage dans son album lithographié Sites pittoresques du Dauphiné[3] […], paru en 1828. Pour Jean Achard, maître du paysage dauphinois et ancien élève de Dagnan, Sassenage est l’un de ses endroits de prédilection[4]. Lieu de rencontres artistiques et intellectuelles au XIXe siècle, Sassenage devient un véritable point de rassemblement et un motif à part entière pour les Isérois comme pour les artistes étrangers[5]. À la fin de sa vie, Blanc- Fontaine s’y installe définitivement, jusqu’à son décès le 20 décembre 1897.
[1] Les grottes de Sassenage, traditionnellement appelées « cuves », sont classées parmi les sept merveilles du Dauphiné.
[2] Blanc-Fontaine partage son atelier avec son ami Diodore Rahoult.
[3] Isidore Dagnan, Sites pittoresques du Dauphiné, dessinés d'après nature […] dédié à la duchesse de Berry, Paris, Giraldon-Bovinet, 1828.
[4] À la mort de Diodore Rahoult en 1874, Jean Achard le remplace dans l’atelier qu’il partageait avec Henri Blanc-Fontaine.
[5] Une fois par an, un « congrès des artistes » est organisé à Sassenage, alternativement avec les communes de Crémieu et de Morestel. Laurence Huault-Nesme, Jean Achard. Un paysagiste à l’école de la nature. 1807-1884, Grenoble, Glénat, La Tronche, musée Hébert, 2008, p. 98-101. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Eugénie Gruyer (grand-mère d’Henriette Gröll), élève de Blanc-Fontaine, accueille également dans sa propriété de Sassenage de nombreux peintres dont le Parisien Camille Corot, le Lyonnais François Auguste Ravier et les Dauphinois Théodore Ravanat, Diodore Rahoult et Henri Blanc-Fontaine.
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