Porte Saint-Sébastien à Rome
« C’est par le mélange des édifices anciens et modernes, des temples ruinés et des églises élégantes, des monuments publics antiques et des palais nouvellement construits, que la ville de Rome présente aujourd’hui le spectacle le plus intéressant de l’Europe » rappelle Pierre Henri Valenciennes dans son manuel à l’usage des peintres publié en l’An VIII[1], les encourageant à entreprendre le voyage d’Italie pour parfaire leur formation. Parmi ces innombrables vestiges, ce sont les ruines antiques, traces du passé glorieux de l’Empire romain, qui méritent le plus leur attention. Leur connaissance intime est en effet indispensable à qui veut percer dans le paysage historique, genre le plus noble[2]. L’étude approfondie d’un monument antique fait aussi partie du programme assigné aux architectes lauréats du prix de Rome et pensionnaires de l’Académie de France. Le règlement affecte à chaque élève un édifice avec obligation de rendre un certain nombre de documents dessinés au fil de ses cinq années de séjour : en établir le relevé de détails et d’ensemble, évaluer son état de conservation, proposer sa restauration et enfin réaliser un projet de monument à l’usage de la France. Mais soucieux de mémoriser tout ce qu’ils découvrent, les artistes élargissent leur recherche à tous les édifices remarquables de la cité et remplissent des carnets d’études plus ou moins poussées. Parallèlement, un grand nombre de guides de voyages recensent, depuis le milieu du XVIIIe siècle, les richesses patrimoniales de la Ville Éternelle. Ces publications, ancêtres des Voyages Pittoresques, vont se multiplier tout au long du XIXe siècle et faire appel au talent de nombreux artistes qui préfèrent ne pas trop insister sur la précision archéologique de la représentation mais véhiculer plutôt une certaine idée romantique de la ruine, mangée par la végétation. Aussi, le nombre de dessins de monuments romains est considérable et beaucoup de feuilles sont encore dans l’anonymat. C’est le cas pour cette imposante représentation de la Porte Saint-Sébastien, à peine esquissée au crayon graphite et à la pierre noire et tracée à la seule pointe du pinceau, chargée d’un lavis gris plus ou moins dense. Cette porte monumentale datant de l’an 9 avant J.C. – la plus grande et la mieux conservée des portes antiques de Rome–, ouvre sur la Via Appia et s’intègre dans le mur d’Aurélien construit au IIIe siècle. Sur sa face interne, se trouve l’Arc de Drusus, non visible sur cette représentation qui montre la porte depuis l’extérieur de la ville. L’artiste joue ici sur les différentes tonalités du gris, obtenues en diluant plus ou moins l’encre de Chine, pour bâtir les trois registres de son édifice, souligner son appareillage et ses deux rangs de corniches, mais aussi donner l’illusion d’une lumière vive réchauffant la pierre en laissant en réserve les parties saillantes. Cette manière d’utiliser le lavis gris est assez courante mais évoque ici le travail de Jean Antoine Constantin d’Aix[3], présent à Rome de 1777 à 1780, mais aussi de ses deux élèves, François Marius Granet et Auguste de Forbin, durant leur voyage entamé en 1802. Certaines feuilles de jeunesse de Granet, comme la Vue du château de la Barben en Provence ou Vue de la porte Saint-Laurent à Rome, ou encore Vue d’un couvent à l’entrée de Sienne [4] sont construites avec la même technique, à la pointe du pinceau avec une gradation des valeurs de gris assez proche. Surtout, on y retrouve une même manière de traiter la texture des murailles, en soulignant l’appareillage des murs et rythmant la façade de la sombre trouée des fenêtres et des arches. Comme dans ce dessin, des petits personnages viennent donner l’échelle de l’édifice.
[1] Pierre Henri de Valenciennes, Élémens de perspective pratique à l’usage des artistes […], Paris, an VIII (1799), p. 592
[2] Ibid., p. 615
[3] Suggestion de Louis-Antoine Prat.
[4] François Marius Granet, Vue du château de la Barben, crayon, lavis de gris et de brun sur papier vergé beige ; Vue de la porte Saint-Laurent, entre 1802 et 1810, lavis de gris et de brun sur papier vergé beige ; Vue d’un couvent à l’entrée de Sienne, lavis d’encre, esquisse à la mine de plomb sur papier vergé. Ces trois dessins sont conservés au musée Granet à Aix-en-Provence.
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