Bateaux en rade
Avocat célèbre à la cour de La Haye, très lié à
la puissante famille Huygens, Jan de Bisschop
pratique le dessin et l’eau-forte comme d’autres
riches amateurs hollandais. Mais son oeuvre
artistique est d’une telle qualité que le terme
« artiste amateur » prête à discussion. Bisschop
et d’autres riches artistes amateurs de l’époque,
comme Constantijn van Renesse ou Jan van de
Capelle, n’ont en effet rien à envier aux « véritables
» artistes hollandais du XVIIe siècle. Ce
terme « artiste hollandais » est d’ailleurs lui
aussi très discutable car nombre d’entre eux
pratiquent un autre métier pour vivre.
Qui était le maître de Jan de Bisschop ? Il est
possible, pour des raisons stylistiques, de proposer
le nom de Bartholomeus Breenbergh car
ses dessins exécutés à Amsterdam offrent de
nombreuses similitudes stylistiques avec ceux
du jeune Jan de Bisschop. Pourtant, la relation
entre les deux artistes n’est pas documentée.
De son côté, Jan de Bisschop enseigne l’art
du dessin à Constantijn Huygens le Jeune et
l’encourage à dessiner d’après nature (MG D 642).
Actif également comme graveur, Bisschop
invente une encre d’un rouge intense, qui
porte son nom (« Bisschops Inkt »), en mêlant
du rouge de cuivre à de l’encre de Chine[1]. Il
excelle dans les dessins de paysages italianisants
et hollandais ainsi que dans l’art du
portrait, depuis ses années d’études passées
à Leyde entre 1649 et 1652. De nos jours en revanche, Bisschop est surtout connu pour ses
deux publications, parues à la fin de sa vie : le
Signorum veterum Icones (1669) et le Paradigmata
Graphices (1671). Dans ces ouvrages, il
propage et défend l’art antique et la Renaissance
et, dans une moindre mesure, le baroque
italien et flamand. Illustrant ostensiblement
son propos de ses propres gravures et de ses
séduisantes copies dessinées, il présente ces
courants aux artistes comme des modèles à
suivre, les encourageant à s’en inspirer tout en
les mettant en garde contre une imitation trop
poussée de la nature. Les textes de Van Gelder,
et plus récemment de R. E. Jellema et Michiel
Plomp[2], ont bien décrit cette fascination pour
l’Antiquité dans l’art de Bisschop et son intérêt
pour les études d’après nature – l’artiste latinise
son nom en Episcopius et monogramme
ainsi un de ses paysages de 1652 (Victoria and
Albert Museum à Londres[3]) – soulignant sa
place dans le monde artistique hollandais de la
seconde moitié du XVIIe siècle.
Le dessin de Grenoble est annoté Rademaker sur
le montage. Son attribution à Bisschop revient
à Charles Dumas[4], qui nous a indiqué un petit
groupe d’études de bateaux très similaires, aux
mêmes dimensions, toutes conservées dans
des collections privées et sans doute issues
d’un même recueil d’esquisses. Aucune de ces
feuilles, attribuées à l’artiste, n’est signée et une
certaine prudence paraît nécessaire. Deux de ces dessins ont été exposés au musée Fodor à Amsterdam
en 1935 et proviennent de la collection
Van Eeghen[5], un autre a été vendu chez Christie’s
à Paris, le 21 mars 2002 (n° 111)
et un quatrième chez Sotheby’s à Amsterdam, le 16 novembre 2005 (n° 142).
Toutes les feuilles de cette audacieuse série de
bateaux, au lavis rougeâtre intense, montrent le
même aspect non finito, ce qui explique pourquoi
de nombreux autres dessins de Bisschop
ont été « embellis » au cours du XVIIIe siècle afin
de leur donner un caractère plus fini. Abraham
Rademaker, auquel le dessin de Grenoble était
donné, fait partie de ce groupe de dessinateurs
qui n’hésitent pas à intervenir sur un dessin de
maître du siècle précédent[6]. Bisschop préfigure
ainsi les artistes de plein air du XIXe siècle, aussi avons-nous longtemps pensé le dater de cette
époque tardive.
Bisschop joue ici admirablement sur le
contraste entre le brun rougeâtre des bateaux
et le blanc du papier. Il réussit ainsi à rendre
l’épais brouillard blanchâtre qui enveloppe les
embarcations. Les formes légèrement diffuses
des navires, qui se fondent dans l’atmosphère,
témoignent avec éclat du talent et de la maîtrise
des moyens plastiques chez cet artiste
qualifié d’« amateur ».
[1] Voir Van Gelder, 1971, p. 217, notes 67-68.
[2] Voir Van Gelder, 1971, et Jellema et Plomp, 1992.
[3] Victoria and Albert Museum, Inv. no E. 785-1921.
[4] Communication orale du 12 février 2013.
[5] N° 93, présenté sous une attribution à Jacob van der Ulft, mais la notice propose le nom de Bisschop.
[6] Voir cat. exp. Vienne, 1993, n° 73, et Dumas, 2011, p. 457.
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