Homme assis

Cornelis Dusart, fils de l’organiste de Saint-
Bavon à Haarlem, entre en 1679 dans la guilde
de Saint-Luc de cette ville après avoir passé
quatre ans dans l’atelier d’Adriaen van Ostade.
Artiste aussi prolifique que son maître, il
continue à la fin du XVIIe siècle de composer
des scènes de genre paysannes. Dusart n’excelle
pas uniquement dans la peinture et dans
ses nombreux dessins mais grave aussi seize
eaux-fortes sur ce sujet, d’une exécution brillante
dans le style de son maître, ainsi que
trente-cinq planches à la manière noire.
Après la mort d’Adriaen van Ostade en 1685,
Dusart entre en possession d’une grande
quantité de peintures et de dessins restés dans
son atelier, y compris d’oeuvres de son frère
Isaac van Ostade, décédé très jeune (1621-
1649), et d’autres artistes. Il n’est pas étonnant
de retrouver dans sa collection de multiples
études de personnages de Cornelis Bega
(1631-1664), autre fameux élève d’Adriaen van
Ostade. L’exploitation de ce fonds par Dusart
demeure un problème délicat dans l’art hollandais
car ce dernier n’hésite pas à terminer
les dessins et les peintures des autres artistes,
soit parce qu’ils sont inachevés soit parce que
leur style esquissé ne correspond plus, en cette
ultime fin du XVIIe siècle, à la mode du temps.
Parfois, il exécute simplement des copies dessinées
ou peintes d’après les Ostade[1]. Dusart s’est
aussi associé avec des graveurs comme Bernard
Picart qui diffuse les oeuvres de l’atelier des
Ostade et répand ainsi les scènes de genre paysannes
hollandaises dans toute l’Europe.
Le cabinet des dessins de Grenoble possède
deux études d’homme assis de Cornelis
Dusart, celle étudiée ici et la n° MG D 811. Ces
deux études de paysans sont caractéristiques
de son art. Ce genre de feuilles est très recherché
à toutes les époques par les amateurs qui
n’hésitent pas à les payer fort cher, comme
nous l’apprend Johan van Gool[2]. Dans cet
ensemble d’études de figures, les poses ainsi
que les expressions des visages sont des plus
variées. Exécutées à la pierre noire, sanguine et
craie blanche, parfois rehaussées délicatement
d’aquarelle, ces feuilles sont pleines de vie, les
attitudes des personnages souvent très surprenantes
et d’une grande fraîcheur. Dusart utilise surtout comme support le papier bleu qui
ajoute une couleur aux effets polychromes des
trois crayons. Il n’hésite pas à se servir aussi du
parchemin qui fait ressortir davantage la précision
de ses traits.
La finesse d’exécution des personnages de
Dusart est différente de celle, plus sommaire,
des frères Ostade. Comparé à eux, Dusart est
parfois proche de la caricature et les poses de
ses modèles sont plus extravagantes et théâtrales.
Dans le dessin de Grenoble, l’homme
devrait tenir une lettre que l’artiste n’a jamais
dessinée. Son visage souriant est surmonté
d’un bonnet qui lui donne un aspect comique
et burlesque, destiné à faire rire le spectateur.
Dusart joue ici sur les lignes sinueuses de la
silhouette svelte et élancée de son modèle.
Un dessin très proche dans la technique, le
style et les dimensions, montrant un homme
assis tendant une lettre dans une main et une
cruche dans l’autre, est conservé au Kobberstiksamling
du Statens Museum for Kunst à
Copenhague[3] (Cornelis Dusart, Un homme assis
tenant une lettre dans une main
et une cruche dans l’autre, Copenhague,
Kobberstiksamling, Statens Museum
for Kunst, Inv. KKS6576).
L’inventaire après décès de Dusart, dressé en
1708 et publié par Abraham Bredius, indique
parmi les nombreux dessins, le Cunstboek 15,
contenant des Mannetjes na’t leven van Dusart,
251 stux (« Études d’hommes d’après nature
de Dusart, 251 dessins »). On pourrait citer de
nombreux autres recueils avec des manneties
et des études d’après nature de l’artiste, mélangées
souvent avec celles d’Adriaen et Isaac van
Ostade, de Cornelis Bega et d’autres artistes[4].
Si on ajoute les portefeuilles posés sur une
table de son atelier, on arrive à un nombre
considérable d’études. On peut s’imaginer que
les deux dessins de Grenoble figuraient dans la
vente des biens de l’artiste, organisée le 21 août 1708. Au nombre de ces études d’homme, il
faut ajouter les oeuvres vendues durant sa vie,
sans doute les nombreuses études de paysans
signées connues.
[1] Voir par exemple son Intérieur d’une maison de campagne, anciennement galerie Sabrina Förster, Düsseldorf, catalogue de printemps 1993, n°24, qui reprend fidèlement un dessin d’Adriaen van Ostade à Chantilly, musée Condé, Inv. n°1061.
[2] Voir Johan van Gool, 1751, II, p. 458.
[3] Voir cat. exp. Oslo, 1999, n°54, repr.
[4] Bredius, 1915, I, p. 38-39 et 42-44.