Paysage

Nicolaes PIEMONT dit OPGANG
1709?
Plume et encre brune, lavis d'encre grise et aquarelle sur dessin sous-jacent au graphite sur papier vergé crème
18,3 x 28,3 cm
Crédit photographique :
Ville de Grenoble / Musée de Grenoble-J.L. Lacroix
Acquisition :
Legs de M. Léonce Mesnard en 1890, entré au musée en 1902 (Lot 3548, n°1831)

Voir sur navigart

Nicolaes Piemont est un peintre de paysages italianisants dont on conserve aujourd’hui peu d’oeuvres assurées. Les deux seuls tableaux que l’on peut lui attribuer avec certitude se trouvent aux musées royaux des beaux-arts de Bruxelles[1] et dans la maison de poupées de Petronella Oortmans, au Rijksmuseum d’Amsterdam[2]. Contrairement à ce que pourrait donner à penser le champ lexical du terme français « maison de poupées », il ne s’agit aucunement d’un jouet destiné à des enfants, mais d’un objet complexe et précieux tel que la Hollande en produit plusieurs aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les plus belles de ces maisons sont conservées au Rijksmuseum, au Frans Halsmuseum à Haarlem et au Centraal Museum à Utrecht. Elles sont créées à la demande de riches patriciennes et décorées par les soins d’artistes et d’artisans réputés. Les femmes qui commandent ces maisons s’adressent à des orfèvres pour les pièces d’argenterie[3], à des faïenciers pour les bleus de Delft, à des ébénistes pour les meubles et à des peintres pour les tableaux et murs peints décorant les pièces[4].
Pour la maison de poupées de Petronella Oortmans, Nicolaes Piemont peint un paysage qui couvre en continu trois des murs du salon[5]. Deux des panneaux sont signés "Pimont" et le troisième monogrammé "N.P." La maison étant de grandes dimensions, chacune des parties de ce paysage mesure environ 51 x 67 cm, constituant donc un tableau qui n’est nullement en miniature. De plus, le salon (zaal) des maisons patriciennes hollandaises est la pièce la plus belle, que l’on utilise pour les réceptions d’hôtes d’importance. À n’en pas douter, Piemont doit jouir d’une bonne réputation dans les années 1690, car c’est là une commande d’un certain prestige.
En dehors de ces deux tableaux assurés (dont l’un est atypique), seules quelques oeuvres peintes ont pu être attribuées récemment à l’artiste, notamment par Marijke de Kinkelder, comme c’est le cas du paysage au musée Pouchkine à Moscou[6]. Au vu de la qualité de ce petit nombre d’oeuvres, il est fort probable que bien des tableaux de Piemont soient aujourd’hui encore conservés mais sous le nom de Jan Both, de Frederik de Moucheron, voire sous les « écoles de Both » ou d’autres peintres italianisants.
Il n’en va pas autrement de ses dessins. Les deux seules feuilles qu’on lui attribue sont celle présentée ici et un autre paysage conservé à Vienne, à l’Albertina[7]. Dans ce dernier, la pierre noire domine l’exécution et il est difficile d’y reconnaître la même main que dans le dessin grenoblois. On y trouve toutefois quelques points stylistiques communs, notamment l’indication rapide, en zigzags, de certaines parties de la végétation. Comme notre feuille, celle de l’Albertina est attribuée à Piemont sur le fondement d’une inscription ancienne : une signature apocryphe en bas à droite. En outre, sa provenance, remontant au XVIIIe siècle, permet d’accorder quelque crédit à l’attribution[8]. Pour la feuille grenobloise, celle-ci s’appuie aussi sur la présence d’une inscription au verso : "N. Pimont. 1709. Damsterdam". L’écriture comme la façon caractéristique d’attacher « Amsterdam » à la préposition indiquent qu’il s’agit certainement d’une annotation du XVIIIe siècle, ce qui offre encore quelques fondements supplémentaires à l’attribution. On trouve dans la facture déliée du dessin de Piemont des réminiscences de l’oeuvre graphique de Nicolaes Berchem. Certaines de ses feuilles présentent en effet ce même caractère décoratif et cette exécution enlevée qui annoncent déjà l’art du XVIIIe siècle.
Les informations sur la vie et la carrière de Nicolaes Piemont sont elles aussi très rares. Arnold Houbraken ne lui consacre aucune biographie mais le nomme parmi les peintres qui cosignèrent le document d’intronisation d’Abraham Genoels dans les Bentvueghels, la compagnie des peintres nordiques de Rome, bien connue pour ses « baptêmes », qui prennent souvent des airs de bacchanales[9]. Cette fête a lieu le 3 janvier 1674 et Piemont y est nommé sur une liste comprenant près d’une quarantaine d’artistes.
Seul Jan van Gool nous fournit une biographie de Nicolaes Piemont. Selon lui, l’artiste est probablement apprenti auprès de Martinus Saeghmolen puis de Nicolaes Molenaer, sur-passant ses maîtres dans la peinture de paysages[10]. Van Gool dit avoir vu des tableaux de sa main, exécutés avec « esprit et souplesse », mais qu’il a peu de talent pour les figures et les animaux qui peuplent ses compositions. Dans le reste de sa biographie, Van Gool nous conte les déboires amoureux de Piemont. Le seul intérêt de ce récit final est de nous fournir la clé pour interpréter le nom de baptême que reçoit l’artiste dans la compagnie des Bentvueghels. En effet, c’est son mariage à Rome, avec la tenancière d’une osteria, de sept ans son aînée, qui est à l’origine du sobriquet ironique « de Opgang » (« le Progrès »). Piemont doit en effet se résoudre à cette union pour éponger les dettes de boisson qu’il a contractées dans l’établissement de la matrone. Si ses confrères nordiques le baptisent « de Opgang », c’est qu’« avec ce progrès inversé, il fut transformé d’Artiste en Aubergiste », comme nous l’explique Van Gool[11].

  1. Voir Hoogewerff, 1952, pl. 45. Le tableau est signé Pimont (huile sur toile, 99 x 118 cm).
  2. Van Thiel, 1976, p. 439, ill.
  3. Voir notamment Kristin Duysters, ‘Al ‘s werelds goed, is poppe-goed’. Miniatuurzilver in Nederland, Arnhem, 1999.
  4. Pour le phénomène des maisons de poupées hollandaises, voir l’ouvrage de Jet Pijzel-Dommisse, Het Hollandse pronkpoppenhuis. Interieur en huishouden in de 17de en de 18de eeuw, Amsterdam, 2000.
  5. Pijzel-Dommisse, 1994, p. 16 et ill. p. 17.
  6. Senenko, 2009, no 419, p. 297-298, ill. Pour les attributions par M. de Kinkelder, voir le site du RKD.
  7. Vienne, 1964, p. 178, no 368, pierre noire, plume encre brune, lavis brun et aquarelle, 21,7 x 21,3 cm, inv. 10286. Le dessin n’est pas illustré dans le catalogue et je remercie vivement Dr Eva Michel, conservatrice pour l’art néerlandais à l’Albertina, pour m’avoir fait parvenir une photographie ainsi que les informations concernant la provenance du dessin.
  8. Le dessin provient du collectionneur de Dresde, Gottfried Winckler (1731-1795). Il est ensuite acquis par le duc Albert von Sachsen-Teschen (1738-1822) dont la collection est à l’origine du fonds de l’Albertina.
  9. Houbraken, 1718-1721, III, p. 101.
  10. Van Gool, 1750-1751, II, p. 441-442.
  11. La proposition de Hendrik Horn de traduire le bentnaam par « Soleil levant » (Rising Sun) n’est donc pas correcte. Voir Horn, 2000, I, p. 260. Il est vrai que le mot ancien opgang est difficile à traduire sans connaître le contexte (voir le Woordenboek der Nederlandsche Taal en ligne pour les différentes acceptions du mot au xviie siècle).

Découvrez également...