Paysage

Nicolaes Piemont est un peintre de paysages
italianisants dont on conserve aujourd’hui
peu d’oeuvres assurées. Les deux seuls tableaux
que l’on peut lui attribuer avec certitude se
trouvent aux musées royaux des beaux-arts
de Bruxelles[1] et dans la maison de poupées
de Petronella Oortmans, au Rijksmuseum
d’Amsterdam[2]. Contrairement à ce que pourrait
donner à penser le champ lexical du
terme français « maison de poupées », il ne
s’agit aucunement d’un jouet destiné à des
enfants, mais d’un objet complexe et précieux
tel que la Hollande en produit plusieurs
aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les plus belles de ces
maisons sont conservées au Rijksmuseum,
au Frans Halsmuseum à Haarlem et au Centraal
Museum à Utrecht. Elles sont créées à la
demande de riches patriciennes et décorées
par les soins d’artistes et d’artisans réputés.
Les femmes qui commandent ces maisons
s’adressent à des orfèvres pour les pièces
d’argenterie[3], à des faïenciers pour les bleus de
Delft, à des ébénistes pour les meubles et à des
peintres pour les tableaux et murs peints décorant
les pièces[4].
Pour la maison de poupées de Petronella Oortmans,
Nicolaes Piemont peint un paysage qui
couvre en continu trois des murs du salon[5].
Deux des panneaux sont signés "Pimont" et le
troisième monogrammé "N.P." La maison étant
de grandes dimensions, chacune des parties de
ce paysage mesure environ 51 x 67 cm, constituant
donc un tableau qui n’est nullement en
miniature. De plus, le salon (zaal) des maisons
patriciennes hollandaises est la pièce la
plus belle, que l’on utilise pour les réceptions
d’hôtes d’importance. À n’en pas douter, Piemont
doit jouir d’une bonne réputation dans
les années 1690, car c’est là une commande
d’un certain prestige.
En dehors de ces deux tableaux assurés (dont
l’un est atypique), seules quelques oeuvres
peintes ont pu être attribuées récemment à
l’artiste, notamment par Marijke de Kinkelder,
comme c’est le cas du paysage au musée
Pouchkine à Moscou[6]. Au vu de la qualité
de ce petit nombre d’oeuvres, il est fort probable
que bien des tableaux de Piemont soient
aujourd’hui encore conservés mais sous le nom de Jan Both, de Frederik de Moucheron,
voire sous les « écoles de Both » ou d’autres
peintres italianisants.
Il n’en va pas autrement de ses dessins. Les
deux seules feuilles qu’on lui attribue sont
celle présentée ici et un autre paysage conservé
à Vienne, à l’Albertina[7]. Dans ce dernier, la
pierre noire domine l’exécution et il est difficile
d’y reconnaître la même main que
dans le dessin grenoblois. On y trouve toutefois
quelques points stylistiques communs,
notamment l’indication rapide, en zigzags,
de certaines parties de la végétation. Comme
notre feuille, celle de l’Albertina est attribuée
à Piemont sur le fondement d’une inscription
ancienne : une signature apocryphe en bas à
droite. En outre, sa provenance, remontant au
XVIIIe siècle, permet d’accorder quelque crédit
à l’attribution[8]. Pour la feuille grenobloise,
celle-ci s’appuie aussi sur la présence d’une
inscription au verso : "N. Pimont. 1709. Damsterdam".
L’écriture comme la façon caractéristique
d’attacher « Amsterdam » à la préposition
indiquent qu’il s’agit certainement d’une
annotation du XVIIIe siècle, ce qui offre encore
quelques fondements supplémentaires à l’attribution.
On trouve dans la facture déliée du dessin de
Piemont des réminiscences de l’oeuvre graphique
de Nicolaes Berchem. Certaines de ses
feuilles présentent en effet ce même caractère
décoratif et cette exécution enlevée qui
annoncent déjà l’art du XVIIIe siècle.
Les informations sur la vie et la carrière de
Nicolaes Piemont sont elles aussi très rares.
Arnold Houbraken ne lui consacre aucune
biographie mais le nomme parmi les peintres
qui cosignèrent le document d’intronisation
d’Abraham Genoels dans les Bentvueghels, la
compagnie des peintres nordiques de Rome,
bien connue pour ses « baptêmes », qui
prennent souvent des airs de bacchanales[9].
Cette fête a lieu le 3 janvier 1674 et Piemont
y est nommé sur une liste comprenant près
d’une quarantaine d’artistes.
Seul Jan van Gool nous fournit une biographie
de Nicolaes Piemont. Selon lui, l’artiste
est probablement apprenti auprès de Martinus
Saeghmolen puis de Nicolaes Molenaer, sur-passant ses maîtres dans la peinture de paysages[10].
Van Gool dit avoir vu des tableaux de
sa main, exécutés avec « esprit et souplesse »,
mais qu’il a peu de talent pour les figures et
les animaux qui peuplent ses compositions.
Dans le reste de sa biographie, Van Gool nous
conte les déboires amoureux de Piemont. Le
seul intérêt de ce récit final est de nous fournir
la clé pour interpréter le nom de baptême que
reçoit l’artiste dans la compagnie des Bentvueghels.
En effet, c’est son mariage à Rome, avec
la tenancière d’une osteria, de sept ans son
aînée, qui est à l’origine du sobriquet ironique
« de Opgang » (« le Progrès »). Piemont doit
en effet se résoudre à cette union pour éponger
les dettes de boisson qu’il a contractées dans
l’établissement de la matrone. Si ses confrères
nordiques le baptisent « de Opgang », c’est
qu’« avec ce progrès inversé, il fut transformé
d’Artiste en Aubergiste », comme nous l’explique
Van Gool[11].
- Voir Hoogewerff, 1952, pl. 45. Le tableau est signé Pimont (huile sur toile, 99 x 118 cm).
- Van Thiel, 1976, p. 439, ill.
- Voir notamment Kristin Duysters, ‘Al ‘s werelds goed, is poppe-goed’. Miniatuurzilver in Nederland, Arnhem, 1999.
- Pour le phénomène des maisons de poupées hollandaises, voir l’ouvrage de Jet Pijzel-Dommisse, Het Hollandse pronkpoppenhuis. Interieur en huishouden in de 17de en de 18de eeuw, Amsterdam, 2000.
- Pijzel-Dommisse, 1994, p. 16 et ill. p. 17.
- Senenko, 2009, no 419, p. 297-298, ill. Pour les attributions par M. de Kinkelder, voir le site du RKD.
- Vienne, 1964, p. 178, no 368, pierre noire, plume encre brune, lavis brun et aquarelle, 21,7 x 21,3 cm, inv. 10286. Le dessin n’est pas illustré dans le catalogue et je remercie vivement Dr Eva Michel, conservatrice pour l’art néerlandais à l’Albertina, pour m’avoir fait parvenir une photographie ainsi que les informations concernant la provenance du dessin.
- Le dessin provient du collectionneur de Dresde, Gottfried Winckler (1731-1795). Il est ensuite acquis par le duc Albert von Sachsen-Teschen (1738-1822) dont la collection est à l’origine du fonds de l’Albertina.
- Houbraken, 1718-1721, III, p. 101.
- Van Gool, 1750-1751, II, p. 441-442.
- La proposition de Hendrik Horn de traduire le bentnaam par « Soleil levant » (Rising Sun) n’est donc pas correcte. Voir Horn, 2000, I, p. 260. Il est vrai que le mot ancien opgang est difficile à traduire sans connaître le contexte (voir le Woordenboek der Nederlandsche Taal en ligne pour les différentes acceptions du mot au xviie siècle).
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